Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Feathered
Feathered
Feathered
Archives
Visiteurs
Depuis la création 43 200
21 juillet 2011

Mémoire du théâtre

La check-list du Monde a du bon : voici une idée qui devrait en intéresser certains. Car ce n'est pas parce qu'on bosse, ou qu'on est sur la plage ou les pieds dans des bottes en caoutchouc qu'on doit se priver de culture !
L'INA.fr a la merveilleuse idée cet été de mettre en ligne une série d'entretiens, Mémoire du théâtre, avec des hommes de théâtre qui dessinent ainsi pour nous leur autoportrait et nous livrent leur vision du théâtre. Une belle manière de se faire du bien même quand on n'a pas la chance de pouvoir se rendre à l'un des divers festivals de théâtre qui éclairent la France cet été.

Pour vous donner envie d'y goûter, voici un extrait écrit (que j'aime particulièrement) de l'entretien avec Laurent Terzieff, où il est question de poésie, d'anges, d'émerveillement et de partage.

Part. 6 : Le partage des poètes

Chap. 61 : Transmettre un émerveillement

- Laurent Terzieff -

C'est ça aussi la poésie, c'est ce qu'on retrouve chez Milosz, chez Rilke. Qu'est-ce que L'Ange des Élégies de Duino, par exemple ? L'Ange, ce n'est pas du tout un petit chérubin qui ferait la liaison entre l'homme et l'au-delà. C'est un être plus évolué que les autres qui, dans des vies antérieures, comme un alchimiste, a trouvé le moyen de changer le visible en invisible, parce qu'il accorde à l'invisible un degré de valeur beaucoup plus grand que le visible. C'est ça, L'Ange des Élégies de Duino, je crois. Ce fameux : « tout ange est terrible ». C'est ça.

- Odile Quirot -

Et cette phrase gravée sur sa tombe, la phrase de Rilke qui est extraite...

- Laurent Terzieff -

« Rose, rose, ô pure contradiction, volupté de n'être le sommeil de personne sous tant de paupières.» Oui, on met longtemps à la commenter. Contradiction, contrat ou pur contrat - on peut traduire différemment. « Contradiction de n'être le sommeil de personne sous tant de paupières.» Il faut se la répéter plusieurs fois, mais on comprend très bien ce que cela veut dire. Ça veut dire que c'est le sommeil de tout le monde, et en même temps ce n'est le sommeil de personne. C'est un secret qui ne se livre pas, ou qui se livre individuellement, à chacun en particulier, et qui en même temps est voluptueux. C'est cette volupté aussi d'avoir son secret, d'être soi-même le secret, un secret unique, qui n'appartient à personne - un secret qui ne se livre pas par définition. Moi je crois que c'est ça : tout poète est en quête de quelque chose d'inconnu, d'innommé plutôt, dont l'intelligibilité sera toujours précaire. Je crois que le principe d'incertitude s'applique aussi, et surtout, à la poésie. Mais, justement, pour traquer l'inconnu, le poète se doit de ruser avec lui. C'est pour ça qu'il a recours, évidemment, à l'analogie, la métaphore, surtout la métaphore, dont Barthes disait que c'est à distinguer l'écrivant de l'écrivain. L'alchimie du verbe, de Rimbaud, c'est peut-être aussi de détourner les mots de leur sens courant : il faut faire dire aux mots autre chose que ce qu'ils disent d'habitude. C'est là que je rejoins l'idée le poète considère les mots non pas comme des signes, mais comme des, comme des choses, comme une matière, une matière vivante, autonome, qui a sa vie propre. Mais... pourquoi je me suis attaché à l'oralité de la poésie ? C'est parce que je crois que, malgré tout ça, même si Rimbaud et les poètes de la Commune, et puis les surréalistes un temps, ont voulu faire de la poésie un instrument de révolution sociale, je crois que l'univers du poète est profondément solitaire. J'ai toujours eu une image du poète comme dans un tableau de Gaspard Friedrich ; vous savez, un homme devant un abîme qui fait l'expérience des contraires. Et cette solitude du poète peut être... Parce que les mots, comme disait Char, savent faire surgir de nous ce que nous ignorons d'eux. Donc c'est très... Et je crois que l'oralité de la poésie peut être une passerelle entre la solitude du poète et chacun de nous. Il faut que, dans une représentation poétique, le poète ne soit plus, comme disait Nerval, « le roi de ses pensées », mais qu'il règne sur l'assemblée entière. Mais ça demande beaucoup de la part du comédien, parce que ça demande d'abord de définir une fois pour toutes, et pour lui-même, les différents sens cachés du poème, mais aussi de ne pas les imposer au public. Et au départ, ce qui fait l'intérêt de l'oralité en poésie, d'une représentation purement poétique, c'est ce désir, ce besoin de transmettre une chose merveilleuse qu'on a découvert, et de la, de la passer aux autres - un acte d'amour, vraiment. Et là aussi, comme si on partageait un secret, comme si on partageait le secret de la rose, garder cette fraîcheur. Et alors c'est là qu'on a besoin d'un comédien, parce que tout le monde ne sait pas transmettre son émerveillement. Ça c'est un travail ; oui, c'est un métier, disons le mot. C'est très émouvant d'entendre des poètes dire eux-mêmes leurs poèmes. Je me souviens, il y a un vieux disque qui existe de Sous le pont Mirabea, dit par Apollinaire lui-même. C'est émouvant parce qu'on entend cette voix, comme ça, qui vient de très loin, qui chante au milieu des graillons du disque. Mais enfin, Aragon, c'était ridicule la façon dont il disait ses poèmes, avec une espèce d'emphase : « Mon cher amour...» Il avait fait un disque pour vendre L'Humanité, je me souviens, à une époque. Oui, donc il faut un comédien pour ça. Il faut un comédien qui sache nous transmettre son univers. C'est pour ça d'ailleurs que je crois qu'au fond, les acteurs ne devraient dire que les poèmes qui lui tiennent à coeur, qui occupent une place privilégiée dans leur esprit. Ils ne devraient pas dire un poème qu'ils trouvent beau sans plus. C'est ça : il faut que ce poème soit très rare pour lui, et il faut que sa diction et son chant s'ouvrent sur un paysage de mots, justement, fait de silence, de couleur, de rythme - de rythme, oui, sûrement - et que ce paysage soit vraiment le lieu même du poème dans lequel l'auditeur pourra se promener en toute liberté, quitte à choisir lui-même ses chemins, quitte à les tracer lui-même, et surtout, c'est très souhaitable, quitte à s'y perdre.

Vous ne pouvez résister à l'envie d'écouter et voir Laurent Terzieff, je le sais. Alors cliquez !

 


Pour ceux qui se trouvent dans le sud-ouest (pas trop loin du Lot) en ce moment, une idée de programme (clic sur l'affiche pour accéder au site officiel) :

visuel-figeac

Festival de théâtre de Figeac,
du 19 juillet au 2 août 2011.

On y rencontre entre autres Jean-Louis Trintignant, Julie Depardieu, Marie-Christine Barrault, Jérôme Deschamps, Olivier Py (et tant d'autres), Racine, Guitry, Prévert, Vian, Desnos, Lautréamont, Brecht, Kaplan, Shakespeare, Gogol, Maupassant, Becket, Céline ou encore Aragon.

 

Publicité
Commentaires
G
laurent terzieff, toujours un grand moment
Publicité
Derniers commentaires
Publicité