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28 septembre 2011

En ce temps là... Émigration, cours contre la montre

En ce temps-là, tout le monde là-bas connaissait ces mariages entre jeunes du pays et habitué(e)s européens des hivers doux de ce coin du monde. Il ne s'agissait pas de parler de prostitution, fleurant le tourisme sexuel.
Il y eut cependant un soir, dans un bar du secteur touristique, un mois après mon arrivée. L'ami qui m'accompagnait me chuchota soudain : "Arrête de regarder ce type comme ça, on va finir par avoir des problèmes." Et je réalisai que je fixais depuis quelques minutes, l'air sans doute écœuré, un vieux pas beau d'Europe - mais vraiment pas beau, portant sur son visage une expression malsaine à vous donner envie de vomir - avec une toute jeune femme, une jeune fille du pays, ravissante.
Il ne s'agissait donc pas de parler prostitution ni tourisme sexuel. Si ce n'était que la situation de très nombreux jeunes les poussait à essayer de s'en sortir, voire de se tirer, au contact des Européens, à n'importe quel prix.
La prostitution, masculine autant que féminine, était un des extrêmes. Les tentatives pour monter à bord des ferrys repartant vers l'Europe en étaient un autre. Un ami me raconta - je n'en fus jamais moi-même le témoin, mais avais-je su regarder ? - avoir vu un jour tout un groupe de jeunes hommes se précipiter sur un ferry qui quittait le quai dans l'espoir d'y monter.
Un autre moyen pour s'en sortir, moins extrême, était le mariage avec un étranger. (Et je ne parle pas ici des couples mixtes basés sur une "vraie" rencontre.) Quant à connaître les raisons qui animaient la partie européenne de ces couples, je ne m'avancerai pas. Je ne les jugeais pas. Je me permettais encore moins de porter le moindre jugement sur les jeunes qui se liaient ainsi à des Européens. Je savais simplement que j'avais de la chance.
Il y eut un jour cette conversation fortuite, lors d'un déjeuner, avec F., qui apprenait le français pour pouvoir communiquer avec son fiancé, et son fiancé, qui apprenait l'arabe dialectal pour pouvoir communiquer avec sa fiancée. C'était joli, cet apprentissage mutuel de l'autre à travers les langues... même quand l'apprentissage venait après les fiançailles. Souvent, dans de tels couples, c'était à la jeune femme d'apprendre la langue de son époux, le contraire semblait plus rare.
Or, la situation s'étant fortement durcie depuis le retour d'une certaine droite au pouvoir en France, il devenait de plus en plus difficile pour les jeunes d'obtenir un visa pour la France. Et une fois sur place, même en couple, ... Mais un autre pays européen semblait depuis quelque temps devenir une autre porte de sortie.
Mme J. dirigeait une école de langues et, depuis le mois de septembre, un nouveau genre de demandes l'inondait : elle devait monter des cours accélérés de la langue de cet autre pays européen à destination de jeunes d'ici, de jeunes femmes principalement. On sortait dès lors des sentiers battus, car ces élèves étaient pour beaucoup analphabètes et souhaitaient apprendre cette langue en 3 mois, dans le but de pouvoir rejoindre leur nouvelle/future moitié dans son pays d'origine. Ce qui laissait entendre que, à moins que le conjoint européen ne parle lui-même l'arabe dialectal, le couple était dans l'impossibilité de communiquer par la parole. Quel pari pour une jeune femme !
L'école en était à son 16ème groupe d'apprenants de ce type en six mois. Mme J. se refusait à leur faire croire qu'en trois mois ils ou elles seraient prêt(e)s à partir pour l'Europe. Il leur faudrait d'abord apprendre à écrire et à lire, à apprivoiser les supports écrits. Se servir d'un livre, chose qui nous paraissait normale, à nous pauvres petits Européens, devenait tout un défi pour qui n'avait jamais tenu de livre entre ses mains et qui n'avait jamais vu tenir un livre autrement qu'à "l'envers", pour utiliser une expression bien ethno-centrée sur l'Occident, comme certains les aimaient alors. "Ce n'est pas possible de les laisser partir au bout de trois mois, ces personnes ne seraient pas prêtes à se débrouiller là-bas". Mais à l'aide d'un système de tutorat avec des élèves plus avancés, toute une batterie d'outils inventés pour l'occasion et deux ou trois mois de cours supplémentaires, on arrivait au but : le départ du pays vers l'inconnu, que tous espèraient meilleur, quoi qu'il arrivât, que leur vie dans leur propre pays.
Lorsqu'une femme pleurait en apprenant qu'elle ne serait pas prête à partir au bout de trois mois rejoindre son époux, qu'elle ne connaissait vraisemblablement pas plus que ça, et qu'elle pleurait de joie au bout de 5 ou 6 mois quand, enfin, elle le pouvait, on se disait que tous ces gens avaient des raisons de vouloir partir qu'on n'avait pas le droit de juger. Et qu'on avait bien de la chance de ne pas être dans leur situation.
C'était en ce temps-là. 

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Commentaires
A
très drôles, ces deux vidéos ! merci pour la découverte.
G
http://youtu.be/L0Pu61YkGPk<br /> <br /> http://youtu.be/Q_uaI28LGJk
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