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9 mai 2013

Pâtes ou patates ?

Ce n'est pas parce que je suis à des milliers de kilomètres de la mère patrie que j'ai coupé les ponts, ponts culturels entre autres. Loin de là. Je continue à recevoir les programmes d'expositions, de cinéma et autres sorties culturelles parisiennes et à me tenir au courant de... tout ce que je loupe. La lecture de ces programmes est parfois un peu douloureuse, à la limite du masochisme même. Alors je transmets aux amis qui sont "là-bas", "ici" pour vous. Ce qui me manque le plus, parmi toutes ces fenêtres, c'est bien le cinéma. Pourtant l'Inde est un des pays du cinéma (célébré par le prochain festival de Cannes). Je ne suis juste pas dans la bonne ville, pourrait-on dire. Et le cinéma indépendant me manque particulièrement. Ce cinéma qui, aux heures sombres comme aux heures légères, a nourri mes deux dernières années parisiennes, m'a parfois, osons le dire, permis de survivre.

Il y a un an et demi, j'écrivais ceci, ailleurs : "Never forget what Paris offers, especially when it comes to film going: you have access to 150 independent screens and about 90 art ones. Still, it looks like Goliath’s squashing David when Harry Potter XV can be seen on half the silver screens and leaves so few to smaller films." C'était vraiment l'impression que j'avais en regardant le nombre de salles où le film que je voulais aller voir était distribué dans la France entière et le nombre de salles que se partageaient les grosses machines de bas étage au même moment...

Qu'on préfère les grosses productions au cinéma indépendant, à petit budget et très faible distribution, ou pas, il est important, nécessaire, voire vital pour le Cinéma et la Culture en général (avec de grands C) de préserver un espace de vie à ces films qui n'attirent soi-disant pas le client. Il est si simple de dire que la demande conditionne l'offre. La culture serait bien l'un des seuls secteurs où ce serait le cas, d'ailleurs. Dans les autres, c'est l'offre qui semble bien créer la demande. Et quand on donne à manger des patates et des pâtes à un môme, il y a peu de chances qu'il apprécie un jour les légumes verts. Il en va de même avec le cinéma : pâtes ou patates ?

L'offre crée le goût et l'envie.

Deux souvenirs pour illustrer cette conviction intime. Je suis prof, je n'y peux plus grand chose.

belle-et-la-bete-1946-28-g

Il y a quelques années, j'ai monté un atelier d'écriture de contes  de cultures croisées (franco-arabo-berbère) avec des élèves de 6e au Maroc, élèves pour qui la Culture ne faisait pas forcément partie de la culture familiale. L'aventure a commencé avec La Belle et la Bête, dont tous les mômes connaissaient l'affreux dessin animé. Soyons fous, osons la 2D, le noir et blanc et la bonne vieille pelloche : offrons-leur, en signe de reconnaissance que les enfants-ados ont un cerveau, le film de Cocteau. "Heu, Madame, c'est en noir et blanc ?" "Madame, c'est un vieux film, on est obligés de le regarder ?". Deux heures plus tard, émerveillement total. Soit, c'était Cocteau, et n'est pas Cocteau qui veut. Mais c'étaient également des enfants nourris à la grosse production américaine et au dessin "animé" (entre "" car sans âme, sans anima), où un plan ne peut durer plus de 10 secondes car, paraît-il, de nos jours c'est ainsi que l'esprit humain fonctionne donc il faut bien s'y plier. Émerveillement devant le collier de la belle qui se forme autour de son cou ("Mais, ils ont fait comment ?"), les chandeliers-bras ("C'est quoi, madame, comme effets spéciaux ?") et face à la laideur de la Bête ("Elle m'a fait peur, la Bête. Elle était beaucoup plus belle mais plus effrayante que dans le dessin animé !"). Loué soit l'esprit d'un enfant.

pianiste-roman-polanski-2002-L-GVWfFL

Il y a 3 ans, le dernier jour de cours de l'année avant le bac, j'ai proposé à mes Terminales STG (35 ados un peu remuants) de voir Le Pianiste de Polanski. "Ah oui, c'est La Rafle, quoi. On m'en a parlé." "Oh p***, non, Madame, c'est en VO, on peut mettre en français ?" "Ça dure plus de 2 heures ? On est forcés de regarder jusqu'au bout ?" Au bout, justement, de 1h30, dans un silence total, 35 paires d'yeux rivées sur l'écran de la (vulgaire) télé, la classe voisine a entamé le sacro-saint goûter de fin d'année (car, voyez-vous, il n'y a pas d'âge pour un goûter de fin d'année et des bonbons tagada-tsouintsouin, ça fonctionne aussi à 18 ans). Après 10 minutes de goûter bruyant à côté, les élèves se sont tournés vers moi et m'ont demandé d'aller faire taire (sic) les voisins. Une demande de ce type, un dernier jour de lycée dans la vie d'un ado, ça ne se refuse pas. Au bout de deux heures, la cloche a sonné. "Madame, vous pouvez aller demander à Monsieur Machin si ça l'ennuie qu'on reste ici pour voir la fin du film ?". Nous avons donc regardé le film en entier, un film aux plans muets et longs, si lents, si cinématographiquement longs. Sans un mot, sans une fesse qui se tortille, juste quelques bouches ouvertes parfois, des yeux rivés à l'écran. Puis, non satisfaits, nous avons regardé les boni, l'interview de Polanski, le travail de reconstitution historique. Ce n'était pas La Rafle. C'était Polanski.
[Aparté : Contrairement au producteur La Rafle, si un élève n'avait pas souhaité regarder le film, ni Polanski ni moi ne lui aurions dit que ne pas vouloir regarder ce film, c'était cautionner le nazisme. Ces mots prononcés un matin sur Inter, monsieur (ou madame ?) le producteur de Ze Rafle que j'ai refusé de voir à la minute où ton affiche dégueu a été rendue publique, je ne te les pardonnerai pas].

Offrez-leur des pâtes et des patates... Ou pas. Tout ça pour dire que, selon les critères actuels qu'on voudrait nous obliger à accepter, ces deux expériences de partage auraient dû se solder par un flop mat et lamentable.

"Ne laissons pas la loi du plus fort priver d'écrans le cinéma indépendant"

Tout ça pour dire surtout que Le Monde d'aujourd'hui publie l'appel du Collectif de cinéastes (membres de l'Association du cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID)), pour qu'une politique culturelle décente permette au cinéma indépendant, aux salles indépendantes, d'exister face au rouleau compresseur de la grosse méga grasse prod' qui écrase tout sur son passage.

L'article est à lire ici.

La pétition est à signer .

En France, nous avons la chance de bénéficier d'un véritable réseau de cinémas indépendants et d'art et essai (on ne parle pas de celui de Louviers qui profite des aides Art et essai mais ne passe que de grosses prod' en VF s'il vous plaît). A Brive, Toulouse, Rouen, Le Havre, Lyon etc. A Paris, on est plutôt gâté. Ce n'est pas le cas dans beaucoup d'autres pays. Mais ce cinéma est fragile et doit donc être protégé. C'est essentiel, c'est la diversité qui fait vivre, qui rend plus fort, qui protège des attaques nuisibles.

La 7e salle, c'est ici et maintenant un peu partout en France.

"Et chez toi ?" me demandez-vous.

Chez moi, il y a ceci, qui sort tout juste et me fait super envie. Un film à plusieurs voix/plusieurs mains/plusieurs paire d'yeux : 

Bombay_Talkies_2013_Film

Bombay Talkies, rassemblant 4 courts de 4 jeunes cinéastes contemporains indiens (Anurag Kashyap (Gangs), Dibakar Banerjee, Zoya Akhtar and Karan Johar (star ici)), célèbre le centenaire du cinéma indien. Il sera projeté à Cannes et sortira à l'étranger après le festival.
Mais ici, il faudrait que je trouve un cinéma où il passe (ce qui apparemment n'est pas gagné d'avance), avec des sous-titres en anglais. Donc on attendra sans doute qu'il sorte en DVD ou peut-être, qui sait, à l'instar de Gangs of Wasseypur, qu'il sorte en France, pourquoi pas quand je rentrerai, dans 6 mois ?

Alors pour me consoler, je vais monter un ciné-club avec ma cheffe, dans ma nouvelle école. Pour faire découvrir aux plus grands, voudrait-elle, ce qu'est le cinéma : cinéma classique indien, cinéma classique occidental et cinéma contemporain. Chouette ! 

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Commentaires
L
beau billet Mam'zelle<br /> <br /> Qui sait, tu es celle qui montera une salle d'Art et d'Essai là où tu es.<br /> <br /> Ce matin, rayon de soleil normand... puisque tu suis aussi la météo!
M
Ah, tu vas monter un ciné-club ? C'est vraiment génial. Fais les parler, surtout. Qu'ils disent des bêtises ou des pertinences n'a pas d'importance. Pour que le cinéma vive, il faut en parler, analyser, disséquer ce qu'on a vu, interpréter, approuver, critiquer, peu importe. Le cinéma vivant vivra tant qu'on en parlera.<br /> <br /> Tu m'avais conté ces deux expériences, un film en noir et blanc (un vieux film, quelle horreur) et un film en VO. Tu dois décidément être une excellente pédagogue pour arriver à faire passer ce genre de chose d'une génération à l'autre.<br /> <br /> Ce que tu dis des patates et des pâtes me touche profondément. A vrai dire, je ne sais plus avec qui en parler et ça me coince dans un espace sans air.<br /> <br /> J'ai signé la pétition, mais habitant Paris et me sentant privilégié quant à l'accès aux films, je me rends compte que c'est de plus en plus difficile d'y accéder.<br /> <br /> Le problème des gondryoles, des Iron man, n'est pas qu'ils existent, mais qu'ils interdisent aux autres d'exister.<br /> <br /> J'ai vu un film qui m'a comblé, ainsi que le public qui a applaudi à la fin. Orléans de Virgil Vernier avec des actrices épatantes. Mais la distribution (MK2 Beaubourg chaque jour à 20h00 et le Reflet, à des heures impossibles) fait que personne ne le verra. La chaine MK2 joue d'ailleurs un rôle obscur dans cette distribution, montrant des films "difficiles" (tu parles) à Beaubourg et les pires daubes ailleurs.<br /> <br /> Bises.
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