Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Feathered
Feathered
Feathered
Archives
Visiteurs
Depuis la création 43 206
2 mars 2011

Humeur perdue

Trouver un sens à la journée
Vers le ciel

Tout un programme. Un programme avant et un programme après. Prolepse et analepse sont dans un bateau. Qui prend l'eau ?

Devant le grand soleil frappant ce matin à la fenêtre et illuminant par transparence le vert tendre des bambous et buissons des voisins et, plus loin derrière, les jeunes pousses qui osent poindre en orée de forêt, j'ai décidé de remplir cette journée de deux moments particuliers : Black Swan, qu'on m'a fortement encouragée à voir même si je ne me sentais pas d'attaque pour y aller seule, puis un petit tour à Montmartre par le funiculaire.

Retour à la maison en forme de point d'interrogation : quel est donc le sens de cette journée ?

plume_dans_le_ciel_720px

 


A very black swan.

black_swan_movie_poster 

Quand on va voir un film seul, mieux vaut choisir une salle amie. J'ai donc jeté mon dévolu sur un petit cinéma à côté de St Lazare, où la séance de midi (ou 11h45 ou 12h15, suivant les cas) est agréable : peu de gens et uniquement des gens qui ont choisi de prendre sur leur temps du déjeuner pour voir un film. Pas de gougnafiers donc, de téléphones portables qu'on regarde en pleine séance, de pop-corn qui pue, de bavardages malvenus, ni rien de tous ces petits détails qui forment, en fin de compte, une liste de pousse-au-crime légitimes. On évite également les séances maison-de-retraite qui manquent parfois cruellement de charme, comme ce fut le cas pour Des Hommes et des dieux et, plus étrangement, pour les Mystères de Lisbonne.

Black_Swan__6_

Je ne voulais pas y aller, voir ce film, et surtout pas y aller seule. Il est des films dont je ne sais rien à l'avance mais que je VEUX voir (Lola Montès*). Il est des films dont je ne sais rien et que je NE VEUX PAS voir (Requiem for a Dream*). Et pire, il est des films dont on m'a parlé en bien, en très bien (et « on » en l'occurrence ne reprend pas les derniers des débiles question cinéma) et que je ne veux pas voir. C'était le cas pour Black Swan. Un sentiment de rejet instinctif, renforcé par la certitude que je n'aurais personne, en semaine pendant la journée, avec qui en parler vraiment après (dans le cas de films qui repoussent, le débriefing est essentiel). Qu'on me comprenne bien, le rejet dont je parle n'est pas rationnel et je savais, en allant voir ce film, que je verrais du vrai cinéma.

*Ajout du 24/03 - J'ai réalisé après coup que Black Swan et Requiem for a Dream étaient du même auteur. J'ai failli me brouiller avec l'ami qui m'a fait voir Requiem. Ce film fut une torture et j'ai mis des semaines à m'en remettre. Aujourd'hui encore, j'ai la nausée en y pensant.

black_swan

Comme je ne suis pas une spécialiste des billets sur le cinéma qui croisent les références avec brio, je parlerai de ce que j'ai ressenti, c'est tout. C'est donc un grand film que j'ai vu, sans aucun doute.  Un film en lisière de fantastique car un film sur la folie (pas juste la passion, non, la folie). J'ai pensé aux Chaussons rouges. J'ai même pensé à Lola Montès. Dans ces trois cas, il s'agit de la mise en scène de la passion d'une femme par un homme, de sa mise sur scène, et du spectacle d'une passion qui tue. Dans ces trois cas, le metteur en scène (le personnage comme le cinéaste) est dans le contrôle de sa créature, l'attire, la fait se dépasser elle-même jusqu'au point de rupture. Chaque fois, la caméra permet à la réalité et au spectacle/à la mise en scène de se mêler jusqu'à abolir les frontières de la réalité. Et chaque fois, la femme mise en scène, amoureuse et/ou passionnée qui ne s'appartient plus fait le grand saut qui la délivre.

black_swan_kunis_10366805rtbqq_1798

Mais il s'agit avant tout d'un film sur le contrôle jusqu'à la folie. Parler de l'anorexie dans ce film est à mon avis réducteur. L'anorexie n'est qu'une des manifestations du contrôle sur soi. Le contrôle de son corps, de ses sentiments ainsi que le contrôle de l'autre est au cœur, à mon sens, de ce film, comme il est une pièce essentielle du métier de danseur. C'est ailleurs tout le côté malsain du jeu de Thomas Leroy, le directeur de la troupe : ses attentes semblent impossibles à combler car pour être parfaite, le cygne blanc doit aller au-delà du contrôle et de la perfection des mouvements du corps, il doit les transcender. Pour quelqu'un comme Nina, dont chaque instant de la vie a été et est régi par le contrôle (contrôle par elle-même et contrôle par sa mère), c'est signer son arrêt de mort. C'est ce que fait Nina : en allant au-delà de ce contrôle permanent, en brisant ce carcan qui permet à sa fragilité de tenir, elle s'ouvre à la folie. Et c'est elle-même qu'elle tue, cygne blanc fragile, qui se contrôle, en cherchant à atteindre le cygne noir qui est en elle et qui est face à elle, dont elle fait de Veronica l'incarnation.

black_swan_natalie_portman_3

Cette histoire de la plaie dans le dos m'a beaucoup turlupinée, pour des raisons très personnelles de perte d'ailes et de mal de dos. Cet endroit du dos qu'elle gratte, qu'elle meurtrit inconsciemment, c'est l'endroit des ailes, cette fille est en mal d'ailes, d'ailes qui lui permettent de s'élever au-dessus des autres. Lors de la soirée qui la sacre officiellement nouvelle danseuse étoile du ballet, elle se retrouve quelques minutes seule, après le départ des invités, dans ce grand hall de marbre glacé. A côté d'elle, au-dessus d'elle, s'élève la statue en bronze, noire, d'un ange dont les ailes semblent tronquées. Elle est dominée, elle toute blanche et fragile, par ces ailes noires. Est-il utile que je poursuive ma réflexion jusqu'à la métamorphose physique en cygne noir à la fin ? Non, ceux qui liront ceci ont compris. Il n'est pas non plus besoin que je mentionne l'évidence : une danseuse étoile devient unique, ce qui implique la plus grande solitude au sein du groupe, donc la jalousie des autres et la peur constante d'être décrochée du firmament par une autre.

Black_Swan__3_

Pourquoi donc ai-je le sentiment d'une expérience pénible, voire douloureuse (à la limite du masochisme, pour être restée jusqu'au bout) ? Parce qu'une fois l'appréciation objective du film passée — c'est un grand film, servi par d'excellents acteurs, etc. — reste un fond de colère pour m'être retrouvée seule à affronter ce film, le vague sentiment de m'être fait piéger.

 

 
Lire Tagore en haut de Montmartre.

P1010433 

Encore sous le choc de ce film, je me suis dirigée tranquillement vers Montmartre, appareil photo dans le sac, prête à prendre de la hauteur. En marchant vers le funiculaire, j'ai repéré quelques devantures de boutiques dont les couleurs et les formes me titillaient la gâchette et que je me promettais de mettre en boîte au retour. Mais l'heure et le soleil m'ont fait continuer ma route sans m'arrêter : pas question de laisser passer ce moment de douceur presque printanière.

Montmartre

Le funiculaire est comme je l'avais pensé : rapide mais salvateur quand on s'est déjà enfilé les escaliers pour sortir de la station Abbesses. La lumière était un vrai bonheur pour l'esprit en bas du Sacré Cœur. Une fois au pied de la basilique, j'ai évidemment été prise dans la foule des vendeurs à la sauvette et des touristes en grappes. Dans le grand escalier descendant vers l'esplanade, un chanteur avait posé son micro et donnait un concert sans grande originalité, entouré de jeunes, assis sur les marches et reprenant les refrains en chœur. Au loin, Paris se détachait difficilement de la brume lumineuse alors qu'une statue blanche drapée emportait son piédestal d'autres horizons.

montmartre2

Et c'est là que mon appareil photo m'a fait faux bond. Vous ne verrez donc pas cette statue itinérante au drapé flottant dans le vent, ni les pigeons sur leur pigeonnier, ni la fontaine ni le Sacré Cœur.

35917085_pJe me suis assise face à Paris, au soleil, sur un banc et ai entamé un tout petit livre de poche que j'avais pris soin de glisser au fond de ma poche : deux nouvelles de Rabindranath Tagore, dont je ne connaissais que la poésie. Il s'agit de deux petites histoires d'amour assez délicieuses : « La Petite mariée » et « Nuage et soleil », éditées chez folio. Et c'est donc en compagnie des toits de Paris et d'un rayon de soleil bien mérité que j'ai suivi l'histoire d'Apurbo et Mrinmayi pendant un calme moment. C'est joli, simple et poétique, un peu désuet peut-être et tellement loin de l'agitation des touristes d'un côté et de l'Inde telle qu'on la connaît maintenant de l'autre. Le temps de lire d'autres nouvelles de ce grand auteur indien, voici un de ses poèmes :

 

Lost star

When the creation was new and all the stars shone in their first
splendor, the gods held their assembly in the sky and sang
"Oh, the picture of perfection! the joy unalloyed!"

But one cried of a sudden
— "It seems that somewhere there is a break in the chain of light
and one of the stars has been lost."

The golden string of their harp snapped,
their song stopped, and they cried in dismay
— "Yes, that lost star was the best,
she was the glory of all heavens!" 

From that day the search is unceasing for her,
and the cry goes on from one to the other
that in her the world has lost its one joy!

Only in the deepest silence of night the stars smile
and whisper among themselves
— "Vain is this seeking! unbroken perfection is over all!"

 

Pas de réponse à ma question originelle : quel sens donner à cette journée ? A part que moi, j'ai survécu au cygne noir et que j'ai eu la chance de profiter d'un rayon solaire printanier en avance sur son temps.

 


Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Publicité