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29 janvier 2011

"Un Lieu incertain", de Fred Vargas

vargasFred Vargas : Un lieu incertain J

Vivianne hamy

France 2008

Roman - 385 pages.

 

 

EXTRAIT :

— Et qu'est-ce qu'ils vont en faire ? demandait Estalère d'une voix tremblante. Trouver vingt personnes sans pieds pour les recoller avec ? Et après ?
— Dix personnes, interrompit Danglard. Si on a vingt pieds, cela fait dix personnes.
— D'accord, admit Estalère.
— Mais il semble qu'il n'y en ait pas plus de dix-huit. Ce qui nous fait neuf personnes.
— D'accord. Mais si les Anglais avaient un problème avec neuf personnes sans pieds, ils seraient au courant, non ?
— S'il s'agit de personnes, dit Adamsberg. Mais s'il s'agit de corps, pas forcément.
Estalère secoua la tête.
— Si les pieds ont été coupés sur des morts, précisa Adamsberg. Cela nous donne neuf cadavres sans pieds, et ils ne le savent pas. Je me demande, poursuivit-il d'une voix plus lente, quel est le mot pour dire « couper les pieds » ? Ôter la tête de quelqu'un, c'est « décapiter ». Pour les yeux, « énucléer », pour les testicules, « émasculer ». Mais pour les pieds ? Que dit-on ? « Épédestrer » ?
— Rien, dit Danglard, on ne dit rien. Le mot n'existe pas parce que l'acte n'existe pas. Enfin, il n'existait pas encore. Mais un type vient de le créer, sur le continent inconnu.
— C'est comme pour le mangeur d'armoire. Il n'y a pas de mot.
— Thékophage, proposa Danglard.

(Fred Vargas, Un Lieu incertain, chap. III, p.30, Vivianne hamy 2008)

 

LA TRAME :

Le commissaire Adamsberg, accompagné du commandant Danglard et du lieutenant Estalère, participent à Londres à un colloque sur la régulation des flux migratoires en Europe, avec tout le gratin policier de la Communauté Européenne. Un soir, accompagnés dans une balade par Stockard, un des chefs de la police londonienne, ils se retrouvent face à une brochette de chaussures contenant des pieds, déposés devant le légendaire cimetière de Highgate. 
De retour à Paris, la brigade est chargée du meurtre de Pierre Vaudel, journaliste à la retraite. Meurtre dont le mode opératoire dépasse l'entendement par sa violence inégalée.

 

CE QUE JE PEUX EN DIRE :

Depuis des années, pour une raison que je ne m'explique pas, je remettais à plus tard la lecture de Fred Vargas. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir ses romans sous la main : on m'en a offert une couple et mes proches sont de fidèles lecteurs. Il aura donc fallu ce défi lecture pour que me jette à l'eau. Et c'est une excellente chose !

Un genre incertain.
J'aurai bien du mal à classer Un lieu incertain dans un genre précis.
D'accord, il s'agit d'un polar. Tous les ingrédients sont là : les meurtres, les policiers, l'enquête qui suit un schéma plutôt classique (observation, étude des indices physiques, questions et déductions). On y trouve également le suspense et un dénouement qu'on n'avait pas forcément prévu. Mais je n'ai pas vraiment lu ce roman comme un roman policier. Ce n'est pas l'aspect qui m'a le plus accrochée.
Serait-ce le flirt avec le fantastique ? On commence à Highgate, cimetière qui fut le théâtre de faits inexpliqués, attaché à des histoires de vampires. Vampires qui jalonnent le roman et font voyager Adamsberg jusqu'en Europe centrale. Les lecteurs, les pieds sur terre (et dans leurs chaussures, et rattachés à leurs jambes) savent que ce n'est qu'un prétexte, que les vampires n'existent pas, que ce ne sont que légendes utilisées par le ou les meurtriers. Jusqu'à la dernière page où... Mais non, ce n'est pas cet aspect non plus qui m'a vraiment séduite
On remarque également le rapport entre titre et thématique du lieu. On note que cette thématique recoupe le côté polar et le côté fantastique avec une certaine ironie qui m'a plu : le roman ouvre sur la question du contrôle des flux migratoires en Europe et très vite on entre dans l'histoire / la légende d'une diaspora vampirique, qui se moque totalement des frontières européennes. J'ai aimé que cette expression "lieu incertain" s'oppose ainsi à l'idée de barrières et de contrôles. Mais c'est un aspect secondaire.

Question de style. 
Je crois que le plaisir est venu principalement du ton de Fred Vargas, ce qu'elle appelle le "son", l'écriture. Dans une interview pour rue89 où elle décrit son processus d'écriture, elle explique qu'elle écrit le premier jet en 3 semaines et qu'ensuite, pendant une longue période, elle corrige, retravaille le roman, mais sans toucher à l'intrigue, en se concentrant uniquement sur le style, le "son". Je crois que c'est ce qui, pour moi, a donné tout son charme à ce roman que j'ai lu goulûment.  
La langue est d'ailleurs un des thèmes du roman : incapacité à parler une langue étrangère banale et faculté à intégrer les mots d'une langue complexe, écriture latine et écriture cyrillique, confusion des sens, invention de mot (le "Plog", à la fois enfantin et génial dans ce qu'il représente et de par son origine, son "étymologie"), absence de mots pour nommer ce qui n'a jamais existé etc. Voilà peut-être le premier "truc" qui m'ait accrochée, dès les premières pages.
Peut-être trouverais-je cela lassant, au bout de 4 ou 5 romans lus en chaîne, mais j'avoue m'être délectée du patchwork des personnages grâce à la manière dont l'auteur réussit à les caractériser, à les rendre totalement uniques, à travers les dialogues, les modes de pensée et d'action, les attitudes, qu'il s'agisse des personnages centraux ou satellites. (Est-ce là l'écueil possible, d'ailleurs ? Tombe-t-on ensuite dans le schématique, le stéréotype ? Il faudrait que j'en aie lu davantage). 
Est-on censé frémir à la lecture des romans de Vargas, être accroché à l'intrigue, suspendu au suspense (pardon pour la redondance) ? Personnellement, j'ai souri largement dès les premières pages, j'ai ri toute seule dans le train à la lecture de certains passages. L'extrait choisi, qui n'est cette fois-ci pas l'incipit, me semble très représentatif de l'ensemble : l'auteur réussit à concentrer en une page de dialogue 3 modes de fonctionnement et de pensée, symptomatiques chacun de 3 caractères différents, donnant une touche d'incongruité, d'apparent non-sens qui n'en est pas en fait. C'est ce frottement des caractères, ce mélange des manières de fonctionner (qui semblent parfois ne pas pouvoir se rencontrer mais se complètent en fait) à travers l'écriture qui donne, à mon avis, sa pâte à l'ensemble. 



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