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22 mars 2011

Humeur post mortem

Santiago 73 – post mortem, de Pablo Larraín 

Amateurs d’actions gores et
d’anatomopathologie cinématographique s’abstenir,

l’horreur est ailleurs 


Santiago

 

Septembre 1973, Santiago du Chili. C’est le moment du coup d’État mené par Pinochet et de la mort du président Allende. Événement violent s’il en est, il est traité par Pablo Larraín par le petit bout de la lorgnette. Plutôt que montrer les actions violentes (bombardement du palais de la Moneda, arrestations et assassinats de masse), le réalisateur a en effet préféré ancrer son film dans un immobilisme et une absence de couleur douloureux en suivant les pas d’un petit fonctionnaire pâle et sans consistance pendant ces quelques jours où le Chili a basculé dans l’horreur. Ce n’est donc pas la préparation du coup d’État, ni les exactions de l’armée, les meurtres et la destruction qu’on nous impose, ni même les autopsies, mais leur trace, omniprésente : la mort (absence de vie avant, cadavres pendant … et la fin qui ne doit pas être dite).
santiago_5Le film commence bien « post mortem ».
Deux personnages centraux :
Mario, fonctionnaire du bas de l’échelle qui retranscrit les rapports d’autopsie, à la vie inexistante, au physique transparent ; Nancy sa voisine d’en face, danseuse déshabillée qui se fait renvoyer du théâtre où elle exerce car vieillissante et trop maigre. Mario voue un amour pathétique à Nancy, Nancy s’en fiche, elle a un petit ami.
Deux personnages secondaires :
le Dr. Castillo, médecin chef anapath et Sandra Carreño, son assistante chargée des dissections. Pas si secondaires puisque c’est eux qui sont chargés de l’autopsie d’Allende.

Mario et la mort.
Tout, dans ce film, fait que Mario ressemble à une coquille vide, à un non-personnage, dont les quelques sursauts de vie sont plus pathétiques qu’autre chose, parfois inquiétants, jusqu’à la dernière scène où il devient « enfin » acteur dans l’horreur non dite. Sa fonction et la manière dont il l’exerce (son petit voisin lui sert de secrétaire pour taper les rapports d’autopsie à la machine), son apparence physique et ses habits, sa maison, ses branlettes, ses repas, sa petite voiture : il n’est pas simplement insignifiant, il est vide, statique, d’autant plus statique que les plans sont fixes et encore davantage lorsqu’on entend le tic-tac de la pendule qui semble la seule à avancer dans cet univers achronique.
Santiago_4À de rares moments, il semble prendre vie. La balade en voiture avec Nancy est peut-être le seul vrai moment de vie du film : gros plans sur les visages, la caméra passe d’un profil à l’autre, les visages se tournent l’un vers l’autre, enchaînement de regards et débuts de sourires. Mais lorsque la vie autour de la voiture les prend au piège (sous la forme d’une manifestation de jeunes communistes), bruyante et animée, Nancy la rejoint et Mario reste seul dans sa voiture, figé, alors que la vie continue sans lui. Cette incapacité à participer au monde autour de lui est reprise plus loin quand, sous sa douche, il n’entend rien de l’arrivée des militaires dans la maison de Nancy (le père et le petit ami sont des membres actifs du parti communiste) : opposition entre l’image de cet homme se douchant tranquillement, tout à ces gestes d’une banalité qui n’en finit pas, et bruit de la rafle d’en face.
Il tente de sauver deux êtres blessés : le chien de Nancy et un homme blessé amené dans une pile de cadavres à l’institut médico-légal. Là encore, la vie n’est pas avec lui puisque le blessé est tué par les militaires à l’hôpital. C’est d’ailleurs une des scènes fortes du film, où la véhémence de sa collègue Sandra, qui semble la seule à refuser l’horreur qui les entoure et ce qu’on leur demande de faire, renforce encore davantage la passivité terne dont Mario fait preuve au milieu de cet enfer.
Santiago2Autre petit moment où la vie semble apparaître chez cet homme : la conclusion de l’autopsie effectuée par le Dr. Castillo. À l’annonce que la blessure mortelle ayant tué Allende peut avoir été infligée par Allende lui-même (il s’agirait donc d’un suicide), une ébauche de sourire voit le jour sur les lèvres de Mario, signe inquiétant, car que ressent cet homme ?
Un bémol cependant, en ce qui me concerne, dans le traitement de ce personnage : le dîner avec Nancy, où ce qui pourrait être le signe d’un partage de pleurs, et donc de vie, est desservi à mon goût par la longueur de la séquence, caméra figée, qui n’en finit pas et semble se vautrer dans une débauche de sanglots et de filets de salive (voir l’article de Critikat, 15/02/11). Autant les plans fixes sont porteurs de sens et d’horreur dans ce film, autant ici, contrairement à ce qu’en dit Libération (Next, 16/02/11), le fou-rire a failli ne pas être à l’envers.

Filmer la mort
Comment filmer la mort sans donner dans le spectacle, dans le pathos, dans le conventionnel ni faire pleurer dans les chaumières ? Comment déclencher l’effroi chez le spectateur sans le prendre pour un con ?
Santiago_1C’est là que réside tout l’intérêt de ce film : Larraín prend le contre-pied de ce qu’on pourrait attendre, surtout à la lecture du titre.
Le film commence par la fin : on est sous les roues d’un char qui parcourt les rues désertes et jonchées des restes du coup d’état. Dès lors, le cadre de cette absence de vie est posé. Très vite, on entre de plain pied dans cet état (avant et après le coup d’État, on est bloqué dans un état, comme dans « verbe d’état » par opposition à « verbe d’action ») : plans fixes, scènes sans paroles qui traînent parfois en longueur à dessein (amateurs d’action en 3D : essayez, ça vous ouvrira de nouveaux horizons sur ce qu’est le cinéma), dialogues lents, lumière fade et couleur grisâtre / désaturée. Puis la mort s’étale dans les couloirs de la morgue, s’empile sur des chariots que Mario traîne des camions militaires aux sous-sols de la morgue par des couloirs sans lumière. C’est un univers mort et irréel, presque fantasmagorique, à la limite de l’absurde.
Trois scènes se sont détachées à mes yeux de cette vision statique et angoissante.
Tout d’abord, évidemment pourrais-je dire, il y a la scène centrale de l’autopsie d’Allende par le Dr. Castillo et son assistante Sandra. Dans l’ambiance lourde, terrible, qui entoure cet acte, avec ces deux rangées de militaires qui observent et surveillent, les caractères se dévoilent un peu plus : incapacité de Mario à faire son travail (non par volonté rebelle, mais juste parce qu'il ne sait pas se servir de la machine à écrire électrique), refus de Sandra à accepter et à jouer le rôle qu’on lui impose, conclusion du docteur qui sera contestée par la suite. (Courrier International).
Santiago_3Sincèrement, pour moi, après avoir beaucoup travaillé sur cette question, rencontré les médecins, lu le rapport d’autopsie, je crois qu’il s’est suicidé. Mais s’il s’avère qu’il a été tué, alors cela veut dire que Pinochet et les siens nous ont menti une fois de plus. Car, au moment du siège de la Moneda, ils avaient proposé à Allende de quitter le pays sain et sauf. (Larraín)
Ensuite vient la scène où Sandra se révolte face à l’horreur. C’est le seul personnage qui semble réellement animé de vie, vie intérieure et vie dans les actes. Le plan large englobant un escalier jonché de cadavres, des militaires postés partout, Mario et le docteur en bas, plus loin et immobiles, mettent en relief les cris, les gestes, les insultes de Sandra dont toute la révolte explose alors au milieu de l’immobilisme qui l’entoure.
Et enfin la dernière scène, qui n’en finit pas, épouvantable dans ce qu’elle ne montre pas et laisse à peine entendre mais dont on ne dira rien d’autre ici que ce qu’en dit l'auteur : J’ai décidé de tout faire en plan fixe afin de s’installer dans un temps mort, quasi inerte, pour observer les faits avec précision, à l’horizontale, comme si le monde se livrait sans ciel, sans dieu ni terre.

Conclusion ?
Ne lisant pas la presse avant d’aller au cinéma, me laissant guider par une sorte de 6e sens (voir le billet sur Black Swan), je ne m’attendais pas à grand-chose en particulier, peut-être, mais je ne m’attendais pas à cela. En rentrant chez moi après le cinéma, on m’a demandé : « Alors ? » et j’ai répondu « Je ne sais pas. » Il m’a fallu deux jours pour laisser décanter et, après lecture de quelques articles pour étayer ce billet, si je ne me sens pas totalement étrangère, pour certains points, à Critikat, je penche largement du côté des Inrocks et du Monde (entre autres).

 

 

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