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19 janvier 2011

"Le Jeu de l'ange", de C. Ruiz Zafon

jeu_angeCarlos Ruiz Zafón : Le Jeu de l'Ange L

Pocket

Espagne 2008

(trad. française : 2009, Robert Laffont)

Roman - 667 pages

Titre original : El Juego del angel

 

INCIPIT : 

Un écrivain n'oublie jamais le moment où, pour la première fois, il a accepté un peu d'argent ou quelques éloges en échange d'une histoire. Il n'oublie jamais la première fois où il a senti dans ses veines le doux poison de la vanité et cru que si personne ne découvrait son talent, son rêve de littérature pourrait lui procurer un toit sur la tête, un vrai repas chaque soir et ce qu'il désirait le plus au monde : son nom imprimé sur un misérable bout de papier qui, il en est sûr, vivra plus longtemps que lui. Un écrivain est condamné à se souvenir de ce moment, parce que, dès lors, il est perdu : son âme a un prix.

(Carlos Ruiz Zafón, Le Jeu de l'ange p. 11, Pocket, 2010)

 

LA TRAME :

Barcelonne, années 20. David Martín, jeune journaliste sans le sou qui rêve de devenir écrivain comme son mentor, Vidal, un autre journaliste et écrivain à succès, voit ses espoirs se concrétiser le jour où son patron lui passe commande de nouvelles à publier en épisodes dans le journal. Deuxième étape vers la célébrité, grâce à Vidal, David signe un contrat avec deux éditeurs véreux auprès desquels il s'engage à fournir mensuellement un roman grand public, mais il y perd la santé. Parallèlement, un mystérieux éditeur parisien, Andrea Corelli, le suit dans ses progrès et lui offre, de manière de plus en plus pressante, de s'associer à lui afin d'écrire un roman comme il n'en a jamais existé, en contrepartie de la fortune et de bien plus encore. 

 

CE QUE JE PEUX EN DIRE :

Collectionneuse d'anges, j'ai lu un certain nombre de récits sur ou avec des anges. Anges déchus, anges gardiens, anges "humains". Conclusion, le seul, le vrai, restera éternellement pour moi le Satan de Victor Hugo ("Et nox facta est", La Mort de Satan). En littérature contemporaine, j'offre à La Nostalgie de l'ange (Lovely Bones, d'Alice Sebold) une très jolie place dans mon coeur. Les Thanatonautes de Werber suivis de son Empire des anges ont eu la gentillesse de se laisser lire agréablement. Mais à part cela, mieux vaut taire les autres romans qui me sont passés entre les mains... Et Le Jeu de l'ange ne dérogera pas à la règle. Mais pour une fois, malgré une lecture à la fois très rapide et poussive (10 pages défilant comme s'il n'y en avait eu que 2 - ce qui n'est pas forcément bon signe - mais sans qu'on ait eu l'impression d'avancer vraiment), je me suis accrochée dans l'attente d'une sorte de révélation.

N'est pas Dumas qui veut...
L'aspect qui m'a le moins convaincue est sans conteste l'effet de remplissage, d'écriture au mètre, voire au kilomètre (étant donné la longueur du roman). A telle enseigne qu'après une centaine de pages, quand à moins d'être un lecteur idiot, comme semble le supposer l'auteur, on a bien compris que l'éditeur parisien est un ange déchu, j'ai fini par aller vérifier, sur une intuition démoniaque, le nombre de pages du roman : le dernier numéro écrit étant 666, j'en suis venue à me demander si Ruiz Zafón n'était pas allé jusqu'à remplir des pages dans le seul but d'atteindre le chiffre du Malin. Il semble que cette idée saugrenue (mais révélatrice) soit infondée puisque la version originale contient environ 670 pages... 
Ce sentiment d'une écriture au mètre est renforcé par des manques de cohérence dans la construction du roman, comme lorsqu'on ne se relit pas (et sur 666 pages, c'est un problème, de ne pas se relire, à moins de s'appeler Dumas). L'impression d'être baladée de rebondissement folklo en nouveau personnage sans autre but que d'être baladée. Ainsi, l'exemplaire des Grandes Espérances de Dickens, vendu dans la 1ère partie, réapparaît dans la 3ème comme si de rien n'était pour les besoins de la cause. Des pistes (pas inintéressantes) semblent naître qui ne sont jamais exploitées et n'ont pas de sens dans l'avancée de l'action et le dévoilement du mystère, telle une allusion au meurtre sanglant de deux types, qui donnerait à penser que notre héros se transforme en un monstre démoniaque sans le savoir. Or c'est la seule allusion de ce genre. Quant à la fin, dénouement surprenant et en décalage avec le ton du reste du roman, on peut se demander si elle n'est pas là dans le but de justifier certains aspects du roman ou si, au contraire, le foisonnement de rebondissements et de personnages n'existerait pas uniquement pour justifier cette idée finale étrange.

A trop mêler les genres...
Le style général m'a également laissée totalement froide, quand il ne m'a pas parfois énervée. Les dialogues (et c'est bien une des choses les plus délicates dans l'écriture romanesque) m'ont semblé sonner souvent faux : tonalité très contemporaine et donc anachronique avec l'époque (l'action se déroule de 1920 à 1945), longueurs qui n'apportent rien. Le côté gothique et fantastique de ce récit est également alourdi par des images répétées du début à la fin, sortes de codes qui semblent dire au lecteur "Attention, on est dans une autre réalité" comme si le lecteur était aveugle : ciel rouge, eau noire, larmes de sang noir, sang noir etc. Ce ne sont pas les codes en eux-mêmes qui sont pesants, mais bien l'utilisation plus que redondante qu'en fait l'auteur. Enfin, j'ai regretté que le contexte historique prenne aussi peu de place dans le roman, contrairement à ce qu'on pourrait attendre. On imagine mal, en effet, que le choix de l'époque ait pu être totalement accessoire. J'ai attendu vainement pendant 666 pages un lien entre le livre du contrat et l'époque terrible, une piste quelconque, que le livre maudit commandé par le diable, par exemple, soit celui sur lequel celui-ci puisse bâtir la période de folie qui a submergé l'Europe (et l'Espagne) de cette époque. Mais rien à part de vagues allusions.

Quand l'écriture devient héroïne de roman...
Le tout début du roman laisse pourtant entrevoir une idée intéressante : un roman sur l'écriture romanesque et l'écrivain, une mise en abyme qui fait envie. Mais au final on est en droit de se poser la question du bien-fondé de l'entreprise et de se demander si la mise en abyme n'est pas beaucoup plus ironique :
Ruiz Zafón n'a-t-il pas mis en pratique, en écrivant ces pages, le style et le travail "littéraire" auxquels son personnage principal est contraint ? On retrouve en effet, dans l'écriture du Jeu de l'ange, les détails gothiques, sombres, la violence et les bagarres, les histoires d'amour, les bas-fonds de Barcelonne, mais de seconde zone un peu comme un film de série B, dont Ruiz Zafón affuble le style littéraire de son héros. 

Le "truc qui tue" :
En cherchant une ou deux infos sur le livre (comme le nombre de pages dans la version originale), je suis tombée sur un site officiel du Jeu de l'ange. C'est réd-hi-bi-toire ! On y apprend entre autre que pour l'auteur, raconter des histoires, c'est un art, un métier, un business. Moi, je croyais que c'était un art, une nécessité (vitale) et ensuite un métier. Je dois être naïve. On l'y compare à Ecco, à Calvino ou encore à Dickens, ce qui me laisse pantoise. Cela m'a presque fait penser à l'arnaque Paulo Coelho. On tombe là dans une ironie double et j'ai bien eu envie de titrer ce post :
Le Jeu de l'ange : pacte avec le diable business.  

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