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3 février 2011

"Les Baguettes chinoises", de Xinran

XinranXinran : Baguettes chinoises K

Picquier poche

Chine 2007

(trad. française : 2008, Philippe Picquier)

Roman - 336 pages

Titre original : Kuaizi Guniang

 


INCIPIT :

I - Sous le grand saule.

Près des anciennes douves de Nankin, se trouve un vieux saule majestueux très apprécié des résidents voisins. A l'ombre de ses branches, les hommes jouent aux échecs, les femmes épluchent leurs légumes et se distraient en papotant. De temps à autre, elles jettent un coup d'oeil au-delà des douves, au mur d'enceinte décrépit dont la porte magistrale remonte à l'époque Ming. Aujourd'hui, il n'est plus si facile de repérer le saule dans le tohu-bohu : le marché local, qui propose aussi bien des fruits et des légumes que des animaux et des vélos, est devenu si populaire que les foules s'y pressent dans les ruelles autour des éventaires et dans les boutiques. Une nouvelle agence pour l'emploi s'y est installée, qui attire des queues de migrants pressés de prendre part au boom chinois.

 

LA TRAME :

Nankin, début du XXIe siècle. La ville attire de plus en plus de migrants poussés hors des campagnes par des conditions de vie difficiles. Les "baguettes", c'est le nom donné aux filles (utilitaires et jetables) dans ces régions reculées, par comparaison aux garçons, les "poutres" (qui soutiennent toute la charpente familiale). Les Baguettes chinoises retrace l'histoire de trois de ces baguettes, soeurs issues d'une fratrie de six filles - portant chacune pour seul prénom son numéro d'ordre de naissance - qui réussissent à quitter leur village pour tenter leur chance à Nankin. Trois est la première à partir. Elle trouve facilement du travail dans un restaurant traditionnel dans lequel elle est chargée de créer des présentations de plats de légumes. Cinq et Six, les cadettes, la suivent la deuxième année, l'une trouvant un emploi dans un centre de cure thermale (sorte de spa chinois), l'autre dans une maison de thé pour amoureux de livres.

 

CE QUE JE PEUX EN DIRE :

Pour qui ne connaît pas la Chine - ce qui est mon cas - ce roman est une manière originale de découvrir ce pays en pleine mutation. S'il s'agit d'une fiction, il est néanmoins évident que l'auteure s'est basée sur des témoignages et des expériences personnelles et que le récit possède une dimension sociologique importante.

Une lecture en demi-teinte.
J'imagine que traduire un tel récit n'est pas évident. La langue chinoise doit posséder des caractéristiques difficilement transposables en français, comme le ton des dialogues, les subtilités des expressions idiomatiques et des jeux de mots, les différences de registres (entre langues régionales et mandarin par exemple). C'est sans doute ce qui m'a un peu chiffonnée tout le long de ma lecture : une sorte de froideur de la langue parfois, une espèce de superficialité. 
Certains des personnages entourant les trois héroïnes manquent également de profondeur. La gentillesse inconditionnelle de ces adultes qui aident et veillent sur les jeunes filles a parfois un petit goût fade, voire de bonhomie un peu caricaturale. Mais peut-être est-ce également dû au passage du chinois au français ? 

Les jolies baguettes.
Le choix des trois soeurs est très porteur. Toutes trois venant de la même famille, elles n'en sont pas moins différentes et permettent de tracer trois itinéraires parallèles mais avec trois points de vue.
Trois, celle du milieu dans la fratrie, semble la plus les pieds sur terre, la plus capable à la base de s'adapter à ce changement complet de vie. C'est d'ailleurs elle qui ouvre la voie. D'un savoir-faire issu directement de sa vie paysanne, elle fait un atout professionnel qui lui permet rapidement de trouver sa place : elle sait mieux que personne arranger fruits et légumes en des compositions artistiques pour attirer les clients en quête de fraîcheur dans le restaurant où elle a trouvé du travail. Et pourtant, c'est celle qui se laissera prendre dans les filets de l'amour
Six, jolie et éduquée, est celle qui est allée jusqu'à la fin du collège, qui aime les livres et dont l'ambition semble pouvoir trouver le meilleur écho dans cette nouvelle vie. Son expérience à elle est intellectuelle : travaillant dans une maison de thé-salon littéraire, elle peut nourrir son insatiable désir de connaissance intellectuelle au contact de gens lettrés et d'étudiants étrangers. Mais en contrepartie, c'est elle qui se trouve le plus directement confrontée à la réalité de cette Chine moderne tiraillée entre ouverture et interdits, codes traditionnels et occidentalisation, réalité et propagande.
Quant à Cinq, la moins jolie, un peu simplette et qui ne sait pas lire, c'est sans doute celle dont on imaginerait le moins qu'elle puisse réussir l'aventure de l'émancipation. Or son désir justement d'en remontrer à tous ceux qui la croient limitée lui permet peut-être de parcourir le plus long chemin des trois : à force de curiosité, d'observation, en adaptant sa connaissance d'une vie proche de la nature et son pragmatisme, elle réussit à développer des compétences insoupçonnées. C'est également le personnage le plus poétique à mon sens, dans les correspondances qu'elle établit entre la vie moderne, ou les sentiments, et la nature qui a jusque là été son unique univers.

Un jeu de regards, exotismes emboîtés.
Pour un Occidental mal-dégrossi quant à la connaissance de la Chine, ce roman possède une qualité particulière : il met en oeuvre des points de vue croisés et à plusieurs niveaux. Ça en fait, je trouve, le charme principal. 
En effet, l'auteur met tout d'abord en scène la rencontre entre deux Chines : le monde rural et le monde urbain. Le regard que chaque partie porte sur l'autre partie est fait de surprise, de chocs, parfois d'incompréhension mais il semble que le désir de comprendre soit omniprésent. Ces frottements donnent d'ailleurs lieu à des passages assez drôles -même si là encore, pour un lecteur étranger il est parfois difficile de tout apprécier à sa juste valeur. 
Un deuxième niveau apparaît grâce aux personnages occidentaux qui traversent la vie de Six. Si la jeune fille se moque gentiment de leur incapacité à utiliser les trois tons de voix permettant de donner leur sens aux mots (ce qui donne lieu à des passages assez drôles), les étudiants rient de leur côté avec bienveillance des phrases anglo-chinoises de la jeune fille. De même, leur présence est prétexte à la confrontation des vérités sur la situation politique et économique de la Chine : vérité officielle, vérité des dissidents, vérité des Occidentaux.
Le troisième niveau naît évidemment de la lecture du roman par un esprit qui n'y connaît pas grand chose et qui sourit, s'étonne ou parfois se rebiffe à l'expression de tous ces points de vue. D'autant que le roman est émaillé de retours en arrière permettant de mettre ce début de XXIe siècle en perspective avec l'histoire contemporaine de la Chine.

Si la valeur littéraire de ce roman est à mon avis discutable, il s'en dégage cependant une certaine poésie et un charme certain. C'est surtout l'aspect témoignage et le tableau sociologique qu'il présente de la Chine que je retiendrai. 


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